Editorial du 1er janvier 1919 : le devoir qui s’impose
Née comme vous le savez le 1er décembre 1918, l’U.A.G., quelque peu étonnée de se sentir un être consistant après quatre années d’enfantement difficile, ayant ouvert les yeux sur le monde, s’est senti tout d’abord un irrésistible besoin d’exprimer ce qu’elle pensait, ce qu’elle souhaitait, ce qu’elle voulait.
Sa voix si faible risquait de n’être pas entendue, de tous ceux à qui elle comptait s’adresser. Un secours puissant vient enfin lui donner la possibilité de réaliser son désir : un ami des aveugles, qui, dans une circonstance précédente, avait déjà mis les moyens matériels de son imprimerie à la disposition du premier groupement d’aveugles ayant cherché à s’unir, vient de renouveler son geste généreux et sympathique en faveur de l’U.A.G., dont le bulletin sera désormais imprimé gratuitement par les soins de l’imprimerie Bauer et Dubois, à Paris. Á ces gens de cœur, qui ont compris la bonne œuvre que comptait réaliser notre Union, et qui, d’une façon si désintéressée, vont nous aider si puissamment à la remplir, j’adresse ici les remerciements émus et l’expression de la reconnaissance de tous les aveugles de guerre.
Je me propose d’ailleurs, à la prochaine réunion de notre conseil d’administration, de faire voter par les camarades l’inscription d’office de nos nouveaux amis, comme membres bienfaiteurs de l’U.A.G.
Ce premier devoir de reconnaissance rempli, il me semble nécessaire d’indiquer aux membres de notre Union, quelle doit être désormais la règle de conduite à adopter pour tous et par tous.
Nous répondrions mal au titre pris par notre association si l’U.A.G. n’était véritablement et effectivement l’union de tous les aveugles de la guerre.
Tombés pour une même cause, supportant le même douloureux sacrifice, plongés dans les mêmes ténèbres, quels que soient nos gardes et nos conditions sociales, nous sommes déjà unis par la même communauté de mutilation. On comprendrait mal que tant de titres qui nous rendent solidaires les uns des autres, n’aient pas pour conséquence de nous rapprocher très étroitement, de nous pousser à former un bloc compact, afin de nous aider mutuellement à nous relever d’abord, puis à supporter le poids de nos blessures, pour nous permettre enfin de reprendre dans la vie la place que la société a le devoir de nous faire.
La presque totalité des aveugles de guerre, dont les adresses avaient pu nous être communiquées, ont répondu à notre appel avec un empressement significatif. Tous avaient compris, inutile donc de prêcher des convertis. Mais si nous voulons, aux yeux des pouvoirs publics, représenter effectivement la cause des aveugles de guerre, il faut que nous ayions derrière nous le bloc compact de tous ceux qui se réclament à ce titre.
Ne disposant que de mille adresses d’aveugles, nous n’avons pu ainsi recueillir les suffrages que d’un tiers environ de blessés aux yeux. C’est sur vous que nous comptons pour provoquer l’adhésion à l’U.A.G. de ceux qui, indécis, n’ont pas répondu à notre appel, et de ceux qui, beaucoup plus nombreux et ignorés, n’ont pu être touchés par la lettre de l’aspirant Bourguignon.
L’U.A.G. est constituée, ses statuts sont rédigés, déposés, notre Société a été déclarée ; elle a donc vie. C’est à nous tous que s’impose le devoir de lui donner la force utile, indispensable, par le nombre de ses adhérents. Que chacun de nous, dans sa sphère d’action, recherche ceux de nos camarades d’infortune qui ignorent encore qu’une union s’est fondée pour la défense de nos intérêts communs, et que les adresses ainsi obtenues soient envoyées le plus tôt possible à notre siège social,
38 rue du Mont Thabor, à Paris.
Pour tous ceux qui disposent de quelques loisirs, c’est maintenant un devoir sacré que de faire en faveur de notre Union, la propagande active dont la réalisation justifiera le titre même que nous avons adopté.
Un autre devoir s’impose. Aveugles de guerre, nous revendiquons hautement l’association de ces trois mots, parce qu’ils sont à la fois la justification de notre origine, de notre légitime fierté, et de la consolation que nous savons y trouver par la satisfaction du devoir accompli. Aveugles de guerre, nous étions hier pendant les hostilités, aveugles de guerre, nous serons encore demain pendant la paix ; nous serons une seule génération sans descendance, mais il y aura des aveugles de guerre, tant qu’un seul de nous survivra.
Les services rendus au pays, les sacrifices librement consentis, constituent pour nous une véritable hypothèque sur la société ; celle-ci reconnaissante envers ses défenseurs, s’efforce par tous les moyens de prouver sa gratitude. Ne lui rendons donc pas la tâche difficile en l’obligeant à éparpiller ses efforts et à aller rechercher elle-même dans les multiples associations, dites de Guerre, ceux envers qui elle a contracté une dette sacrée.
Tant que l’Union des Aveugles de Guerre était inexistante, quelques camarades, sollicités par des associations d’aveugles, gagnés par une campagne de propagande, désireuse d’établir qu’une fois la paix signée, il n’y aurait plus que des aveugles tout court, ont adhéré à divers groupements étrangers à l’armée et, par conséquent, mixtes dans leur composition.
La lacune ayant été réparée, et le groupement unique d’aveugles de la guerre ayant enfin été réalisé, ce serait, de la part des anciens combattants, renier leur origine que de ne pas adhérer à l’U.A.G. avec la plénitude de leurs moyens et la liberté absolue d’eux-mêmes. Le grand public saura ainsi désormais, qu’en se fixant sur l’Union des Aveugles de Guerre, son effort financier ira directement et exclusivement à ceux qu’il se propose d’atteindre. Se concentrant ainsi sur un seul objectif, cet effort sera plus puissant, plus fécond pour vous, plus certain pour tous, et comme le titre même de votre Union lui rappellera les dangers courus par le pays et évités par votre sacrifice, cet effort financier pourra et devra se prolonger au bénéfice exclusif de l’U.A.G.
En résumé, donc, deux devoirs s’imposent à tous les membres de l’U.A.G. : amener par une propagande soutenue tous les aveugles de guerre à former bloc dans le sein de l’U.A.G. ; n’y entrer que les mains libres de toute obligation extérieure afin d’éviter la confusion dont vous seriez les seules victimes.
Il ne peut, il ne doit y avoir qu’une seule Union des Aveugles de Guerre.
L’U.A.G.