Aveugles et résistants
Le 25 novembre 2014, M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire, a dévoilé, à l’Institut National des Jeunes Aveugles de Paris, une plaque en hommage aux aveugles de la résistance.
Placée dans le hall d’entrée de l’établissement à côté de celles rappelant le souvenir de Louis Braille et Valentin Haüy, cette plaque porte les noms de 132 aveugles, dont 9 femmes, membres de l’Union des Aveugles de la Résistance.
L’union des aveugles de la Résistance (UAR) a été créée le 23 décembre 1945 par Charles Davin (décédé en 1958), ancien combattant de la 1ère guerre mondiale, devenu aveugle en 1919 et, par la suite, résistant durant le second conflit.
A l’époque, la France comptait environ 40 000 aveugles. Parmi ceux engagés dans la Résistance, il y avait des personnes aveugles ou très malvoyantes civiles, parfois très jeunes, et des anciens combattants devenus aveugles lors du conflit précédent ou des combats des années 1939/1940.
Leurs activités résistantes étaient diverses : téléphonistes, pianistes pour les postes receveurs et émetteurs, dépôt d’armes, boîtes aux lettres, camouflage des clandestins, passeurs, transport d’armes, de fausses pièces d’identité, de tracts, etc.
Ces résistants, hommes et femmes, subirent pour certains, malgré leur handicap, la répression :
- deux furent fusillés : François Guillou dans le Finistère le 17 janvier 1944 et Louis Adam dans l’Ain le 10 juin 1944. Son épouse Marguerite, qui était voyante, a été déportée à Ravensbrück où elle est décédée le 4 juin 1945.
D’autres aveugles et résistants furent déportés et sont revenus des camps : Irène Ottelard à Ravensbrück, Arthur Poitevins à Dachau, André Mahoux de Forli et Jacques Lusseyran à Buchenwald. André Goetsch (1897-1973) fut interné en Allemagne : Lieutenant au 115 RI, blessé en Champagne en mai 1917, membre de l’Union des Aveugles de Guerre depuis 1918, Commandeur de la Légion d’Honneur, Croix de Guerre 14/18 et 39/45 (résistance), Croix du Combattant Volontaire de la Résistance.
Les noms de cinq autres Aveugles de Guerre sont également inscrits sur la plaque :
- Adrien Beucher (1901-1975) devenu aveugle par maladie en 1923 en Rhénanie, Chevalier de la Légion d’Honneur, Croix du Combattant Volontaire de la Résistance.
- Marius Bicheron (1895-1960) blessé dans la Somme en 1915. Médaillé Militaire, Croix de guerre 14/18 et 39/45 (résistance), Croix du Combattant.
- Jacques-Pierre Boy (1904-1967) matelot pompier blessé pendant son service militaire en 1926. Titre de Combattant Volontaire de la Résistance.
- Louis Evrat (1886-1969) blessé en septembre 1914 dans la Somme. Commandeur de la Légion d’Honneur, Médaillé Militaire, Croix de la Résistance.
- Maxime Fehse (1906-1975) adjudant au 8 BCP blessé dans la Sarre en septembre 1939. Officier de la Légion d’Honneur, croix de guerre 39/45.
Grâce à l’appui d’Albert Aubry, député depuis 1919, énucléé d’un œil durant la Grande Guerre, résistant, déporté à Neuengamme, le Parlement votera une loi qui sera à la base du « statut des aveugles de la Résistance ». Ce statut ne sera accordé, après examen médical faisant apparaître une acuité visuelle inférieure à un vingtième, qu’aux aveugles dont les états de service dans la Résistance auront été homologués par une commission spéciale du Ministère des Anciens Combattants. En reconnaissance par la Nation de leur engagement, les Aveugles de la Résistance ont ainsi bénéficié , au titre du code des Pensions Militaires d’Invalidité et des Victimes de Guerre, des allocations identiques à celles versées aux Aveugles de Guerre et leurs veuves ont reçu les mêmes pensions de conjoint survivant.
Toutefois, une cinquantaine de résistants aveugles, anciens combattants de la Grande Guerre, n’ont pu, ou voulu, cumuler le statut « d’aveugle de la Résistance » avec le statut « d’aveugle de guerre ». Leurs noms ne figurent donc pas sur la plaque commémorative.
Rendons leur donc ici hommage en la personne de Louis Finet, l’un des 1 039 Compagnons de la Libération. Fils de cheminot, Louis Finet est né le 15 août 1897 à Bellegarde dans l'Ain.
Appelé sous les drapeaux en janvier 1916, il est affecté successivement à quatre régiments d'infanterie puis au 1er Groupe d'Aviation. Très gravement gazé (ypérite) en juillet 1918, il perd la vue et est démobilisé en mars 1920. Président de l'Union des Aveugles de Guerre pour le département de la Savoie, Louis Finet est particulièrement atteint par la débâcle puis l'armistice de juin 1940. Il entend l'Appel du général de Gaulle et y souscrit immédiatement. Cherchant les moyens de se rendre utile, il prend contact dès 1941 avec des camarades à l'occasion de différentes manifestations d'anciens combattants dans la région de Chambéry. Il commence par diffuser des tracts d'appel à la Résistance. Malgré son handicap, il devient en octobre 1943 agent du réseau de renseignements « Coty ». Il est immatriculé à Londres au 2ème Bureau (renseignements), au Bureau Central de Renseignements et d'Action (BCRA) sous le n° 08 815. La maison de Louis Finet devient le PC du réseau et en abrite également le responsable, pour la ville de Chambéry, Georges Oreel alias Bernard. Ce dernier charge Louis Finet de différentes missions de liaison à Lyon et Grenoble, qu'il accomplit avec sa femme ou son fils (recherche de "boîtes aux lettres", transport de plis urgents). Il remplit également une mission de renseignements sur le dispositif allemand du plateau des Glières en obtenant une autorisation spéciale du ministère de l’Intérieur (l'accès au plateau étant interdit) de rencontrer le préfet de Haute-Savoie sous le prétexte d'obtenir des bons de ravitaillement pour ses camarades aveugles de guerre. Ayant obtenu le laisser-passer, il recueille en quelques semaines des renseignements précis sur les effectifs allemands et l'emplacement des pièces d'artillerie. Le 30 mai 1944 la Gestapo fait une descente à quelques pas de son domicile où se trouve le bureau des dactylos du réseau, également lieu de rendez-vous des agents de liaison. Sept personnes - dont Bernard - sont arrêtées. Quatre d'entre elles seront fusillées et les autres déportées. Prévenu par une voisine, Louis Finet quitte immédiatement les lieux avec sa famille, mettant à l'abri les archives et toute la comptabilité concernant l'activité du réseau ainsi qu'une machine à décoder. Lorsque les Allemands, quelques heures plus tard, se présentent chez lui, ils trouvent porte close. Avec sa famille, il reste caché en montagne jusqu'à la libération de Chambéry le 23 août 1944.
Il poursuit après la guerre ses activités de Président de l'Union des Aveugles de Guerre des sections de Savoie, Haute-Savoie et de l'Ain. La Croix de la Libération lui est remise lors d'une prise d'armes le 14 juillet 1946 à Chambéry. Louis Finet est décédé le 22 juillet 1976 à Moutiers en Savoie. Il a été inhumé au cimetière de Charrière-Neuve à Chambéry.
Officier de la Légion d'Honneur.
Compagnon de la Libération - décret du 17 novembre 1945.
Médaille Militaire. Croix de Guerre 14/18.
Médaille de la Résistance
Croix du Mérite Combattant 14/18
Croix du Combattant Volontaire de la Résistance.
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